Premier Noël



J'ai beau avoir la trentaine, jusqu'à récemment j'ai toujours été la "petite" de la famille, la plus jeune, la dernière. A ce titre, certains rituels me reviennent année après année - notamment, la charge ô combien capitale de décorer le sapin familial, une semaine avant le début des festivités.



Je sais, j'ai largement dépassé l'âge. Mais j'éprouve immanquablement une jubilation enfantine en ouvrant le vieux carton entreposé toute l'année dans la cave paternelle, d'où surgissent avec une fidélité parfaite la pétillance des guirlandes chevelues, l'immatérialité brillante des boules de verre givré et l'allégresse naïve des effigies de bois. Leur familiarité complice me rappelle avec tendresse la douceur privilégiée des moments de chaleur familiale, dont la récurrence régulière laisse croire, l'espace d'une parenthèse hivernale de courte durée, que le temps peut être aboli...



Pourtant tout a changé. Plantée du haut de ses seize mois, ma nièce me regarde. Je le sens, le rituel ne sera plus jamais le même - j'ai la charge de le lui apprendre désormais.



Il faut d'abord la mettre en garde contre le piquant inoffensif des aiguilles végétales - message que ma mère lui transmet en appliquant doucement sa main potelée sur une branche...



Je m'attaque alors aux choses sérieuses en construisant la base de la décoration - l'enroulement du sapin dans une guirlande de led rouges. Cette ligne une fois posée, chaque chose pourra trouver sa place en son temps...



Mon père appuie sur l'interrupteur, et magie ! De minuscules lueurs écarlates se mettent à papillonner dans la ramure devenue vibrante de couleur. Stupéfaction chez ma nièce : l'espace d'une seconde, son visage s'immobilise, son regard s'agrandit, sa bouche s'arrondit. C'est le plus bel étonnement du monde...



Une fois la première émotion passée, nous nous mettons au travail. J'ouvre le carton, et son contenu, immédiatement, la captive. Je lui tends une guirlande classique et son plumage argenté la met en joie. Elle l'attrape et l'effeuille en la caressant de ses petits doigts précis et euphoriques, recouvrant le parquet d'une fine couche clignotante de reflets métalliques.



Je lui donne un petit père Noël en tissu à accrocher - il est bien sûr bien mieux dans ses mains que sur une branche, surtout qu'un grelot inattendu le rend soudain très intéressant. J'ai ensuite toutes les peines du monde à ne pas décevoir ses attentes, car les autres objets restent insensibles à ses tentatives de secouement, et demeurent obstinément silencieux malgré ses efforts.



Je supervise d'un peu plus près le processus de sélection des boules de verre car je me méfie très légèrement de son enthousiasme débordant. Mais elle s'avère au contraire très minutieuse dans la manipulation des plus petites d'entre elles. Elle les saisit une par une, lentement, puis se tourne vers moi, et puisqu'elle ne peut pas encore parler, requiert mon attention par un petit cri impérieux qui n'admet aucune contestation.



Je la regarde faire attendrie. Je m'étonne de sa concentration et de son calme... Une chose est sûre, sa présence a fait de ce rituel festif une nouvelle petite aventure. A travers son regard neuf, Noël est à nouveau Noël pour la première fois.

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