La danse immobile des Apsaras
Tandis que les démons et les dieux s'échinaient à baratter la mer de lait, de nombreux prodiges illuminèrent le ciel silencieux des origines. Apparurent alors un éléphant à six défenses, un arbre parfumé accomplissant tous les désirs, un croissant de lune magique, une vache d'abondance, la déesse de la beauté, un cheval blanc à queue noire... Et parmi ces trésors, émergeant de la spirale laiteuse, sautillant hors de la masse liquide, les Apsaras virent le jour.
Ces nymphes célestes n'avaient qu'une vocation : faire tourner la tête des mâles, qu'ils soient dieux, hommes ou héros tombés. Nul ne pouvait résister à l'éclat de leurs yeux enjôleurs, à la douceur de leur sourire juste esquissé, à la brillance de leur chevelure ondoyante, à la volupté de leurs courbes exquises, à l'audace de leurs reins cambrés. Les Apsaras détenaient le secret du plus beau des sortilèges : la danse, qui ensorcelle les coeurs et captive le regard.
Elles sont omniprésentes à Angkor. Leur danse immobile affleure à la surface des murs gris ou ocres, laissant entrevoir un monde de sensualité dans la générosité d'un sein nu, la caresse énigmatique d'un sourire, la souplesse d'une taille déliée et la richesse d'une parure.
En les voyant apparaître sur scène, ces danseuses sublimes et dorées de parures, leur beauté spectaculaire s'affirme de manière étonnamment minimaliste. Cette danse est à la fois extrêmement sophistiquée - et réduite à presque rien. Elle donne l'impression étrange d'un flottement immobile...
Les gestes sont rares, très lents, déconnectés de la notion de rythme. On les devine finement codifiés, emplis d'un signification mystérieuse et pleine. Un mouvement infime du doigt évoque l'éclosion d'un fleur, une ondulation d'un sourcil effleure à peine le visage comme une auréole dans l'eau, la cambrure du dos imprime au corps une tension érotique pourtant figé dans un hiératisme énigmatique. Le flottement de ces déplacements circulaires, la subtilité de ces gestes calmes témoignent de l'origine céleste de ces danseuses, et de leur contribution à l'équilibre harmonieux du cosmos... Et la souplesse imperceptible des membres suggère en silence cette origine divine, acquise sans doute chez ces humaines à force d'une discipline inouïe : vous y arrivez, vous, à cambrer vos doigts vers l'arrière, de manière à former l'arrondi parfait d'un roseau ployé par la brise ?? Elles - elles le font l'air de rien, une sérénité constante sur leur visage gracieux et impassible.
Magnifique texte. Et j'adore comment les photos répondent à celui-ci ainsi qu'entre elles avec celles du ballet classique.
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